Reférence:
http://www.lesechos.fr/info/metiers/4879442-le-cnrs-a-la-recherche-d-un-nouveau-modele.htmLe CNRS à la recherche d'un nouveau modèle
[ 25/06/09 ] 4 commentaire(s)
Le conseil d'administration du CNRS se réunit aujourd'hui à Genève pour approuver les réformes en cours. Le climat reste tendu entre direction et représentants des chercheurs.
Trop gros, hégémonique, rétif, arrogant. Les critiques pleuvent sur le CNRS. Avec plus de 11.500 chercheurs statutaires et un budget de 2,9 milliards d'euros, la maison de la rue Michel-Ange est le plus important centre scientifique européen. Deux fois mieux doté que la référence germanique, la Max Planck Gesellschaft. On trouve tout au CNRS. De la littérature, du droit, de l'archéologie et de la physique des particules. De Platon au boson de Higgs, sans oublier le génome, les nanoparticules et Claude Lévi-Strauss. Cette richesse est une arme à double tranchant. Aucune réforme ne peut se concevoir sans le soutien du premier de la classe. Revers de la médaille, toute tentative de rééquilibrage entre les acteurs s'arbitre presque inévitablement en sa défaveur. Le conseil d'administration, qui se tient aujourd'hui à Genève, doit entériner les réformes voulues par Catherine Bréchignac. La présidente a mis en place un « holding d'instituts » alimentés par quelques centaines d'unités de recherches sélectionnées selon des critères qualitatifs.
Les réformes qui renforcent l'autonomie des universités et suppriment les doublons sont vécues comme un crime de lèse-majesté par les caciques de l'établissement. La création des neuf instituts thématiques (bientôt dix) s'est traduite par une série de guerres picrocholines entre mandarins totalement incompréhensibles. La mise en place de l'alliance pour les sciences de la vie, censée fédérer les forces du pays, est ressentie comme une nouvelle perte d'influence au profit du rival Inserm. Dans ce contexte en forme de peau de chagrin, les syndicats et les représentants des chercheurs montent légitimement au créneau en réclamant un statu quo ante bellum salvateur. Objectif : revenir au bon vieux temps, quand le CNRS était seul maître à bord.
Opposition radicale
Le discours présidentiel du 20 janvier à Strasbourg a choqué une population qui a plus besoin d'être rassurée et motivée que vouée aux gémonies. Résultat : une bonne partie des chercheurs est désormais « entrée en résistance » contre un pouvoir politique soupçonné à tout moment de vouloir « démanteler le CNRS ». Toute rectification de frontière qui remet en cause la « continuité thématique » est considérée comme un « coup de force ». Toute atteinte à un universalisme unique au monde, dont l'intérêt pour le pays et l'institution reste d'ailleurs à démontrer, est assimilée à une atteinte à la mission historique de l'établissement.
La direction doit composer en permanence avec cette opposition de plus en plus radicale. Les deux derniers conseils d'administration ont été perturbés par des manifestants musclés venus d'horizons divers. Celui d'aujourd'hui se tient dans le temple de la physique, le CERN ironiquement en panne depuis huit mois. Les syndicats ont déjà dénoncé cette « fuite de Varennes ». Catherine Bréchignac, dont le mandat arrive à échéance à la fin de l'année, se dit prête à rempiler, au moins pour un demi-mandat supplémentaire, pour venir à bout de sa feuille de route. Ce ne sera pas de trop compte tenu du contentieux accumulé.
Depuis une dizaine d'années, tous les gouvernements se sont cassé les dents sur une mission apparemment impossible. Comment développer la recherche dans le tissu universitaire sans trop dépouiller le CNRS et élever le niveau de la science hexagonale sans braquer les chercheurs ? Tous domaines confondus, la recherche publique française produit environ 25 % de connaissances en moins que ses équivalentes allemande ou britanniques (*). Pour aligner la France sur les standards internationaux, plusieurs nouveautés ont été introduites dans le paysage : l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'agence de l'évaluation (Aeres) et la loi sur l'autonomie (LRU).
La querelle est ancienne et ne se réduit pas à une opposition droite-gauche. Lors de son tonitruant passage Rue de Grenelle, entre 1997 et 2000, Claude Allègre avait déjà déclenché la révolte d'une corporation habituée à vivre avec un pouvoir largement indifférent à la cause de la recherche civile. La priorité donnée à l'économie de la connaissance au sommet de Lisbonne en 2000 a relancé l'intérêt du politique pour une équation magique : science + technologie = emplois. Devenue stratégique, la recherche aiguise les appétits et les ambitions des ministres qui « en veulent pour leur argent ».
Controverse idéologique
La position des opposants se résume d'une phrase : « C'était mieux avant. » La récente réunion du comité national de la recherche scientifique (CoCNRS) a confirmé cette nostalgie doublée d'une opposition politique clairement affichée. Pour Rémy Mosseri, porte-parole du mouvement C3 N qui revendique le soutien d'une majorité de chercheurs : « L'Aeres n'est pas indépendante puisque sa direction est nommée par le gouvernement. » C'est encore pire pour l'ANR qui « aggrave la précarité ». Le concept d'agences de moyens en vigueur dans tous les pays est tout aussi inacceptable « car inscrit dans le discours présidentiel ». D'un côté, les partisans d'un CNRS toujours plus gros dont la première ambition est de créer de l'emploi scientifique. De l'autre, les défenseurs d'un modèle élitiste chargé de produire de la connaissance dans l'intérêt du pays. Une controverse idéologique très franco-française opposant le public et le privé, et qui traverse les générations. Lors de la cérémonie réservée aux nouveaux entrants (908 personnes en 2009), des jeunes chercheurs ont fêté leur entrée dans la carrière en brandissant un carton rouge à la direction. Une sorte de salut lancé au citoyen contribuable qui va payer leurs salaires et leurs retraites pendant au moins cinquante ans.
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