Reférence: http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/2009/07/03/cnrs-et-loi-de-licenciement-massif-des-fonctionnaires.html
03.07.2009
CNRS et loi "de licenciement massif des fonctionnaires"
Le 3 juillet, l'Assemblée Nationale a mis en ligne une nouvelle version du projet de loi de licenciement massif des fonctionnaires, appelé pour la forme « projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique ». Le texte est issu des débats d'hier et semble destiné à être adopté rapidement mardi prochain. Il guidera donc, entre autres, l'application du contrat d'objectifs 2009-2013 entre le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et l'Etat approuvé la semaine dernière et qui place la grande majorité des personnels du Centre dans une situation « atypique ». Les perspectives, très inquiétantes, ne paraissent guère différentes pour l'ensemble de la fonction publique.
Les déclarations récentes de Rémy Mosseri, porte-parole de la Coordination des responsables des instances du Comité national de la recherche scientifique (C3N), au Nouvel Observateur ne nous semblent pas refléter la réalité de l'actuelle entreprise de démolition du CNRS et des autres établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST).
Notamment, en ce qui concerne les menaces directes d'une gravité sans précédent qui pèsent sur la grande majorité des personnels du CNRS suite à l'approbation du contrat d'objectifs 2009-2013 entre le CNRS et l'Etat. Qui a parlé de ces menaces ?
Qui s'est adressé aux personnels de la recherche et de l'enseignement supérieur français pour leur exposer toutes les conséquences que risque d'avoir, dans le contexte actuel de démantèlement des EPST, la loi sur les fonctionnaires en cours d'adoption ? Qui en a fait le point pour le CNRS ?
Rien de vraiment très étonnant dans la série de discours ambigus d'apparence rassurante que l'on voit passer malgré une situation en réalité très alarmante. Les bonnes paroles démobilisatrices, fortement médiatisées, expriment le poids d'un ensemble de coupoles et de comités dont les intérêts se sont progressivement éloignés de ceux des personnels « de base ».
Au point que lors de la dernière réunion du Conseil Scientifique (CS) du CNRS qui compte onze élus syndicaux, il n'a pas été possible de « trouver » six voix pour empêcher un vote favorable à un contrat d'objectifs qui n'est rien d'autre que la fermeture programée du Centre. Qu'en pensent les personnels ?
L'accablant taux de participation aux dernières élections au Conseil d'Administration (CA) du CNRS (32.6% de votants et 31.82% de suffrages « valablement exprimés ») semble témoigner d'une profonde coupure entre la recherche réelle et ses « représentations » conventionnelles. Voir, à ce sujet, notre article du 16 juin. Qui parle de ce problème ?
Dans notre article du 1er juillet, nous avions reproduit un extrait du contrat d'objectifs voté par le CA du CNRS il y a une semaine dans des conditions particulièrement conflictuelles.
Il en ressort notamment que le CNRS perd l'essentiel de son rôle dirigeant au niveau national et de ses fonctions en matière de création et de gestion des laboratoires.
Le contrat d'objectifs 2009-2013 entre le CNRS et l'Etat a été approuvé en parallèle à la préparation d'un décret modifiant l'organisation et le fonctionnement du CNRS, destiné à renforcer la base légale et la portée du contrat d'objectifs. Voir nos articles du 16 juin (deuxième) et du 17 juin.
Preténdre que ces changements ne comporteront pas de lourdes conséquences pour la grande majorité des personnels du CNRS serait travestir la réalité. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas évoquer la question dans la clarté ?
Dès lors que les attributions essentielles en matière de gestion et de renouvellement de la plupart des laboratoires de recherche auront été enlevées au CNRS au bénéfice des universités et du binôme AERES - ANR, l'administration pourra considérer qu'il s'agit techniquement de « restructurations ». Par là, elle sera en mesure d'appliquer à la grande majorité des personnels du CNRS la procédure de « réorientation professionnelle » décrite dans le projet de loi en cours d'adoption par l'Assemblée Nationale.
La « réorientation professionnelle » visera également les agents dont le laboratoire d'affectation sera clairement destiné à rester sous la tutelle du CNRS, mais que le directeur du laboratoire aura décidé de ne pas inclure dans le contrat quadriennal de l'unité.
Or, cette procédure conduit à l'éviction du fonctionnaire de son cadre de travail et de ses missions statutaires, et ouvre la voie à sa « mise en disponibilité » sans traitement ou à son « admission à la retraite ». Un véritable licenciement de facto.
Le 24 juin, la veille de la réunion du Conseil d'Administration du CNRS, un éditorial des Echos qualifiait le CNRS de « symbole de ces mammouths que tout dirigeant politique moderne place naturellement dans sa ligne de mire ». Il réclamait en même temps un désengagement croissant de l'Etat par rapport aux universités. Tout un programme, au bénéfice de quelques multinationales dont les universités devront dépendre.
En clair, la même logique de privatisation et de « dégraissage » s'appliquera aux personnels universitaires. Combien parmi ces personnels en ont été informés ?
Et qui s'est vraiment adressé à l'ensemble des citoyens pour leur exposer les conséquences de cette politique gouvernementale pour l'avenir d'une série de services publics stratégiques ?
Suit un extrait du « projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique » dans sa version mise en ligne le 3 juillet par l'Assemblée Nationale.
http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta-pdf/mob_fonctpubl...
Article 7
La loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée est ainsi modifiée :
1° Dans l’article 36, après les mots : « statut général », sont insérés les mots : « et sans préjudice du placement en situation de réorientation
professionnelle prévue à la sous-section 3 de la présente section » ;
2° La section 1 du chapitre V est complétée par une sous-section 3 ainsi rédigée :
« Sous-section 3
« Réorientation professionnelle
« Art. 44 bis. – En cas de restructuration d’une administration de l’État ou de l’un de ses établissements publics administratifs, le fonctionnaire peut être placé en situation de réorientation professionnelle dès lors que son emploi est susceptible d’être supprimé.
« Art. 44 ter. – L’administration établit, après consultation du fonctionnaire placé en situation de réorientation professionnelle, un projet personnalisé d’évolution professionnelle qui a pour objet de faciliter son affectation dans un emploi correspondant à son grade, situé dans son service ou dans une autre administration, ou de lui permettre d’accéder à un autre corps ou cadre d’emplois de niveau au moins équivalent. Le projet peut également avoir pour objet de l’aider à accéder à un emploi dans le secteur privé ou à créer ou reprendre une entreprise.
« Pendant la réorientation, le fonctionnaire est tenu de suivre les actions d’orientation, de formation, d’évaluation et de validation des acquis de l’expérience professionnelle destinées à favoriser sa réorientation et pour lesquelles il est prioritaire. Il bénéficie également d’une priorité pour la période de professionnalisation.
« L’administration lui garantit un suivi individualisé et régulier ainsi qu’un appui dans ses démarches de réorientation. Elle fait diligence pour l’affecter, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 60, dans les emplois créés ou vacants correspondant à son grade et à son projet personnalisé d’évolution professionnelle.
« Le fonctionnaire peut être appelé à accomplir des missions temporaires pour le compte de son administration ou d’une autre administration. Les missions qui lui sont alors confiées doivent s’insérer dans le projet personnalisé.
« Art. 44 quater. – La réorientation professionnelle prend fin lorsque le fonctionnaire accède à un nouvel emploi.
« Elle peut également prendre fin, à l’initiative de l’administration, lorsque le fonctionnaire a refusé successivement trois offres d’emploi public fermes et précises correspondant à son grade et à son projet personnalisé d’évolution professionnelle, et tenant compte de sa situation de famille et de son lieu de résidence habituel. Dans ce cas, il peut être placé en disponibilité d’office ou, le cas échéant, admis à la retraite.
« Art. 44 quinquies. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions de mise en oeuvre de la présente sous-section. » ;
3° L’article 44 bis devient l’article 44 sexies ;
4° La première phrase du second alinéa de l’article 51 est complétée par les mots : « ou dans le cas prévu au second alinéa de l’article 44 quater » ;
5° (nouveau) Le quatrième alinéa de l’article 60 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Priorité est également donnée aux fonctionnaires placés en situation de réorientation professionnelle pour les emplois correspondant à leur projet personnalisé d’évolution professionnelle. »
Article 7 bis (nouveau)
Avant le premier alinéa du I de l’article 97 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dès lors qu’un emploi est susceptible d’être supprimé, l’autorité territoriale recherche les possibilités de reclassement du fonctionnaire concerné. »
(fin de l'extrait)
Avec, notamment, cex deux petites phrases à la portée très générale :
« En cas de restructuration d’une administration de l’État ou de l’un de ses établissements publics administratifs, le fonctionnaire peut être placé en situation de réorientation professionnelle dès lors que son emploi est susceptible d’être supprimé ».
« La réorientation professionnelle (...) peut également prendre fin, à l’initiative de l’administration, lorsque le fonctionnaire a refusé successivement trois offres d’emploi public fermes et précises correspondant à son grade et à son projet personnalisé d’évolution professionnelle, et tenant compte de sa situation de famille et de son lieu de résidence habituel. Dans ce cas, il peut être placé en disponibilité d’office ou, le cas échéant, admis à la retraite ».
dont nous avions examiné les conséquences dans notre article du 20 juin. Il s'agit d'une machine légale qui permet de licencier de fait pratiquement tout fonctionnaire.
Malheureusement, il semble bien qu'en la matière le « vidage » du CNRS ne soit qu'une illustration de ce qui risque d'arriver dans l'ensemble des services publics. Pourtant, les grandes centrales syndicales sont restées, et restent à ce jour, très passives à l'approche de l'adoption de cette loi.
Pendant la longue période d'attente d'un an (juin 2008 - juin 2009) que le projet de loi « relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique » a connue dans les couloirs de l'Assemblée Nationale, il aurait été possible d'adresser à tous les citoyens une campagne d'explication conséquente sur les enjeux réels. Mais une telle action, qui à l'approche des élections européennes aurait été bien plus efficace que d'autres à façade plus spectaculaire, a été sciemment évitée.
Il en a été de même, d'ailleurs, depuis deux ans en ce qui concerne spécifiquement la recherche, l'éducation nationale ou l'enseignement supérieur.
Quant aux manifestations improvisées au moment même du présent passage de la loi sur les fonctionnaires devant l'Assemblée Nationale, elles ressemblent plutôt à des cérémonies à usage interne.
Signe de consensus tacites au sein du monde politique, indépendamment de quelques déclarations à l'adresse des militants ? On a vu la même situation se produire il y a exactement deux ans, au moment de l'adoption de la Loi n°2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et d'autres « lois d'été ».
Au moment de l'adoption de la LRU pendant l'été 2007, ses véritables conséquences ont été pour l'essentiel occultées à la grande majorité des agents, des étudiants et des citoyens. Il a fallu que les menaces se concrétisent, pour susciter des réactions d'une certaine envergure, notamment de la part des personnels de la recherche et de l'enseignement supérieur. La même situation risque de se produire à l'héure actuelle avec l'opération de licenciement à grande échelle des fonctionnaires, recherche et enseignement supérieur compris.
Tout compte fait, le massacre professionnel de la fonction publique française qui s'annonce pour la rentrée n'est rien d'autre que l'application de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) signé en 1994 en annexe à l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). C'est également une suite du processus engagé en France avec la Loi Organique Relative aux Lois de Finances (LOLF) d'août 2001 et, pour l'éducation et la recherche, du processus de Bologne mis en place en 1998-99 et de la stratégie de Lisbonne adoptée en mars 2000 à l'échelle de l'Union Européenne. Quels partis, syndicats, coordinations de mouvements... s'opposent vraiment à cette politique et la dénoncent de manière circonstanciée devant l'ensemble des citoyens ?
Il va de soi qu'une vaste campagne syndicale d'explication et d'analyse à l'adresse de toute la population du pays aurait contraint les partis politiques à s'exprimer beaucoup plus clairement qu'ils ne l'ont fait dans une campagne des élections au Parlement Européen où la langue de bois a été la règle non écrite. Cette transparence « inopportune » n'a pas vu le jour.
Les directions syndicales et politiques, ainsi que les médias, ont même fait preuve de la plus grande discrétion lorsque la Commission Trilatérale a tenu sa réunion européenne à Paris en novembre dernier avec une importante participation du gouvernement français, de parlementaires, d'anciens ministres... Voir, entre autres, nos articles du 25 avril et du 26 avril.
C'est vrai qu'au simple examen des dates, il apparaît clairement que la « droite » comme la « gauche », et tous les partis français dits « de gouvernement », ont depuis longtemps participé à l'élaboration de la stratégie globale qui a conduit à l'actuelle offensive contre le statut des fonctionnaires et l'indépendance de la fonction publique dans notre pays. Le reste, c'est de la propagande hypermédiatisée et de la mise en scène.
Enfin, on fait souvent miroiter aux personnels de la recherche qu'ils « n'ont rien à craindre » dès lors qu'ils se laissent embrigader dans des grands projets chapeautés par des personnalités influentes. Mais ce « parapluie lobbiste » classique ne semble pas devoir survivre à la marchandisation mondialisée de la recherche dont la logique est celle de la délocalisation à la recherche des « prestations les moins chères ».
Précisément, les notions de « marché européen de la recherche » (de fait, un marché mondial) et de mondialisation de cette activité sont devenues des composantes classiques du vocabulaire des hiérarchies scientifiques françaises. Voir, entre autres, nos articles du 20 janvier et du 26 mars.
La signature par la France de l'AGCS en 1994 et l'adoption de la stratégie de Lisbonne en mars 2000 devaient anéantir, à terme, la stabilité d'emploi des scientifiques français. Qui l'a dénoncé en temps utile ?
Voir également nos articles :
CNRS : quelle « réforme », quels objectifs ? (I)
La recherche peut-elle être une marchandise ?
INSERM, CNRS et recherche fédérale aux USA (I)
INSERM, CNRS et recherche fédérale aux USA (II)
INSERM, CNRS et recherche fédérale aux USA (III)
INSERM, CNRS et recherche fédérale aux USA (IV)
INSERM, CNRS et recherche fédérale aux USA (V)
La Commission Trilatérale et les services publics français (I)
La Commission Trilatérale et les services publics français (II)
Motion de la quatrième Coordination Nationale des Laboratoires en Lutte
CNRS : les recommandations de la session plenière du Comité National
CNRS, INSERM, INRA, INRIA... notre communiqué du 12 juin
Record d'abstention aux élections du CNRS
CNRS : notre lettre à la présidence et à la direction générale
CNRS : le vote du Conseil Scientifique sur le contrat d'objectifs (I)
CNRS : Non au contrat d'objectifs !
CNRS : un CA "réfugié" en Suisse ?
Réponse de la Coordination Nationale des Universités à Xavier Darcos sur le prétendu « consensus »
Fonction publique, CNRS, universités, services publics... vers la fin des acquis de la Libération ?
UMP, où est ta victoire ? (II)
Sarkozy, G8, Bilderberg, "sortie de crise" rapide et casse sociale
Le CNRS convoque dans la précipitation son Comité Technique Paritaire
Universités, CNRS : notre recours gracieux à Nicolas Sarkozy et François Fillon
CNRS : quelle « réforme », quels objectifs ? (II)
INRA : les réprésentants de la CGT refusent de siéger au Comité Technique Paritaire
CNRS : le vote du Conseil Scientifique sur le contrat d'objectifs (II)
Le CNRS, Vincent Geisser et le huit centième anniversaire de la Croisade Albigeoise
CNRS : un contrat d'objectifs liquidateur (I)
Indépendance des Chercheurs
http://www.geocities.com/indep_chercheurs
http://fr.blog.360.yahoo.com/indep_chercheurs
http://science21.blogs.courrierinternational.com
Groupes de discussion :
http://groups.yahoo.com/group/problemes_des_scientifiques
http://groups.yahoo.com/group/combatconnaissance
22:47 Publié dans CA du CNRS du 1er juillet 2008, Délocalisations et dumping, Droits et libertés, Education, Etats-Unis, Europe, Evaluation, Fonction publique, Indépendance du service public, Institutions, Mondialisation, Politique scientifique, Recherche, Société, Société du XXI siècle, Statut des chercheurs, Université, « Réforme » de la recherche | Lien permanent | Commentaires (0) | Envoyer cette note | Tags : cnrs, fonction publique, fonctionnaires, chercheurs, université
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